

Deux semaines de réflexion ont permis d’éditer un Guide des recommandations pour permettre le redémarrage des chantiers d’une filière à l’arrêt depuis le début du confinement. Mais le document ne répond pas à tous les écueils liés à la réalité du terrain.
Entre accusations de « manque de civisme » et de « défaitisme », la ministre du Travail Muriel Pénicaud était parvenue à faire l’unanimité contre elle au sein de la filière du BTP. Quelques jours à peine après l’entrée en vigueur du confinement, le gouvernement accusait ainsi le secteur de ne pas tout mettre en œuvre pour soutenir une économie en berne. Un procès mal vécu par des professionnels qui en retour évoquaient les obstacles à l’application des gestes barrière, les difficultés d’approvisionnement ou les choix de collectivités, sociétés ou de particuliers de dire stop aux chantiers.
Après les échanges d’amabilités est venue l’heure de la réflexion. Jusqu’à la validation du Guide de préconisation des mesures sanitaires, élaboré avec l’organisme paritaire de prévention du BTP, le 2 avril, par les ministères du Travail et des Solidarités, de la Transition écologique et solidaire, de la Ville et du Logement et enfin de la Santé. Un vade-mecum de 23 pages dont la Fédération régionale du BTP tire trois situations possibles : « les mesures de distanciation et de protection préconisées (…) sont applicables rapidement et le chantier peut reprendre dès qu’elles sont actées » ; « les processus doivent être adaptés pour respecter les préconisations, (…) pour une reprise qui interviendrait d’ici à la fin du mois d’avril » ; « les conditions ne peuvent être réunies pour (…) assurer la sécurité sanitaire. Il faut alors différer la reprise ».
Le mot d’ordre c’est vous pouvez reprendre le boulot puisque le guide est sorti
Mais comme souvent, la théorie se heurte à la pratique, alors que la cellule de coordination pour la relance des chantiers se réunira le 14 avril prochain en préfecture de l’Aude afin de traduire de façon opérationnelle les objectifs de relance de l’activité dans le département. Président de la confédération de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment de l’Aude (Capeb 11), Jean-Marc Wagner dit la délicatesse de la situation : « Le mot d’ordre c’est vous pouvez reprendre le boulot puisque le guide est sorti. Mais c’est très complexe, plus complexe que ça. » Rappelant au passage que, « dans le bâtiment, le masque est utilisé assez fréquemment, dans la destruction, pour les maçons, carreleurs ou menuisiers pour ne pas inhaler les poussières fines », le responsable audois souligne que « chaque chantier est unique. Et là où il y a de la coactivité, je ne vois pas comment ça pourrait redémarrer ». D’autant que les trois premières semaines de confinement ont fait apparaître d’autres freins. « Après avoir suscité de la peur, il faut maintenant convaincre les gars de retourner sur les chantiers. Beaucoup n’attendent que ça, de retravailler. Mais je pense que ça se basera avant tout sur le volontariat, d’autant qu’entre les mises en activité partielle, la garde des enfants, les droits de retrait ou les maladies, tout le monde n’est évidemment pas disponible. »
Une question de main-d’œuvre à laquelle s’ajoute celle du matériel : « Certains fournisseurs sont fermés, d’autres ont repris en drive. Mais on a un problème sur les briques : les fours de Terreal ont fermé, il faut près d’un mois pour ça redémarre, Lafarge a aussi arrêté à La Nouvelle. L’Espagne a de son côté cessé toute activité pour produire le ciment. Sans oublier que, quand du matériel tombe en panne, il n’y a parfois personne pour le réparer. » La liste ne s’arrête pas là : « De grosses boîtes vont pouvoir se permettre de mettre un ouvrier par véhicule ; pour les petites, ce n’est même pas la peine d’y penser. Et je rappelle qu’il y a des clients qui ne veulent tout simplement plus nous voir. »
Rappelant que le « guide dit clairement que le chef d’entreprise reste responsable de la sécurité de ses salariés », Jean-Marc Wagner n’oublie surtout pas un point essentiel : « Le problème, c’est qu’on n’a pas accès aux masques. » Comme un écho des terribles lacunes qui agite le pays depuis des semaines. Un sujet majeur dont le Guide des préconisations s’affranchit dans un ubuesque passage consacré à d’éventuels travaux chez un patient atteint de Covid-19 : « Dans le cas où il est impossible de se procurer un masque de protection respiratoire (de type chirurgical, FFP2 ou FFP3, masque à cartouche ou à ventilation assistée), l’intervention peut néanmoins s’effectuer, en respectant la plus grande distance possible avec les occupants à risque du domicile et en leur demandant de rester dans une pièce fermée le temps de l’intervention. »